Ce que m’a appris le voyage.

Après avoir fini à la hâte et dans le stress ce qui devait l’être avant douze mois de voyage (au final ce sera dix), nous embarquions avec Éléonore, il y a un an, dans l’avion qui nous menait à la première de nos nombreuses destinations, Tokyo.

Aujourd’hui de nouveau à Paris, la routine a vite repris ses droits et le voyage semble loin derrière. Pas encore de nostalgie mais assez de recul, plus de deux mois après notre retour, pour tirer quelques enseignements de cette aventure autour du monde. Un en particulier : ce voyage était vital.

Il m’est désormais impossible d’imaginer que ma vie aurait pu se terminer sans que je vive ce que j’ai vécu pendant ces dix mois. Au final d’ailleurs, je ne pense pas que la durée plus courte ou plus longue soit importante, mais bien la manière dont on l’envisage, d’abord hors de sa zone de confort, de contrôle, ce qui est bien entendu plus simple lorsque l’argent est rare.

Je suis obsédé depuis des années par l’idée qu’à l’instant de mon dernier souffle (je meurs donc comme dans les films, monologue inclus), je dresse la liste de mes regrets. Sans doute y en aura-t-il mais pas celui de ne pas avoir été voir ce qui se passe de l’autre côté du monde, d’aller à la rencontre de ces étrangers qui ne le sont plus. Car au fil des rencontres, j’ai réalisé que l’autre, c’est moi.

L’avantage du voyage, en particulier quand on va loin et où on s’imagine être tellement différent, c’est qu’il offre un effet de loupe. Tout ce qu’on ne regarde plus au quotidien chez nous prend une autre dimension, recouvre une intensité qui permet de s’interroger sur ses habitudes. Ce que nous avons pu constater, et ce qui renvoie évidemment au discours de Ludovic Hubler (cinq ans de stop autour du monde), c’est qu’en fait partout, du moins où nous avons rencontré et partagé, les doutes, les désirs, les peurs, les joies sont les mêmes. Mieux : la sympathie est la vertu la plus répandue, sans distinction de condition sociale, d’ethnie, de religion. Mais il y a une condition à cela : apprendre à dire « oui », avec le sourire, aux autres comme à soi-même. La relation ne peut pas se faire si la défiance est le premier réflexe. Les préjugés sont tenaces, même lorsqu’on témoigne de ce qu’on a vu, vécu, auprès d’un entourage retrouvé en France et parfois trop confiant dans son interprétation virtuelle du monde qui l’entoure.

Un décalage qui constitue la réelle difficulté alors que cette question nous est trop souvent posée : « Alors, pas trop dur le retour ? ». Bien entendu, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Mais qu’est-ce qui cloche tellement dans nos perceptions pour qu’après dix mois de découvertes, la première chose qu’on nous demande c’est finalement si nous ne sommes pas malheureux d’avoir réalisé quelque chose qui est dernière nous, sans se soucier en premier lieu de son contenu, de ce qu’il nous a offert, savoir si nous en revenons transformés ? Le voyage, ses aléas, ses difficultés, nous ont obligés à voir le verre à moitié plein et c’est une leçon pour notre vie désormais. Plus confiants, plus tolérants, nous avons réalisé le pouvoir de cette force qui domine tout, tout le temps : la peur. J’ai le sentiment que plus on la surmonte, répétition après répétition, rencontre après rencontre, plus elle ressemble à un excitant petit frisson et non plus à une masse mate, morte, accablante.

C’est ce qui me manque aujourd’hui dans cet exercice face à la peur : la rencontre quotidienne, la découverte de l’autre. Dans le cadre du voyage sans le sou, des auberges, des nuits chez l’habitant, du stop et du camping (sauvage ou non), c’est une habitude. Chacun chez-soi ici à Paris, c’est plus compliqué, il faut susciter la rencontre et pour ça écarter le rideau de peurs et de questions qu’on jette entre nous et les autres. Il faut aussi apprendre à se présenter tel qu’on est, se faire mutuellement confiance et lâcher prise pour parler, vraiment, et ne pas simplement discuter avec ceux qui pourtant nous ont toujours semblé proches. Durant le voyage, où chacune et chacun se trouve loin de chez soi, il m’a semblé que la confidence était plus simple, les conversations plus riches car plus authentiques, plus personnelles. Peut-être aussi que je fuyais celles qu’ils ne l’étaient pas. Mais il me semble que quand on a tous à peu près le même sac à dos trop lourd, les mêmes galères et surtout la même volonté d’aller à la rencontre de soi et des autres, alors les filtres disparaissent et on établit une connexion puissante, pleine et réjouissante.

Avant le départ, il y avait bien entendu les enthousiastes, ravis pour nous, et conscients que nous faisions quelque chose d’important. Mais il y avait aussi celles et ceux qui bien qu’ayant beaucoup voyagé parfois, nous expliquaient que selon les mœurs de tel pays, la rencontre serait difficile, l’invitation à dîner, à dormir, impossible. C’est pourtant ce qui a jalonné notre chemin et je nous félicite d’avoir pu réaliser ce souhait que je faisais avant de partir : celui de revenir avec de nouveaux amis. Japon, Malaisie, Indonésie, Paraguay… C’est formidable de regarder une mappemonde et de faire le compte des destinations dans lesquelles on retrouvera la chaleur et la tendresse que nous avons eu parfois tant de mal à quitter.

Pour finir ce petit bilan, voici un conseil que j’aurais aimé que l’on me donne quand j’avais vingt ans. Partez. Trois, six, douze mois, peu importe, mais allez voir ce qui se passe là-bas. A part pour le billet, vous n’avez pas besoin de beaucoup d’argent, renseignez-vous. Vous en reviendrez avec de nouveaux amis, de nouveaux mots, de nouvelles saveurs et vous aurez rencontré quelqu’un qu’il n’est pas si facile de trouver : vous-même.