Le 6 août 1945, quand est largué « Little Boy » dans le ciel d’Hiroshima, Kosei Mito est dans le ventre de sa mère. D’un souffle, à 8h16, l’explosion de l’obus nucléaire fait 75 000 victimes pour autant de blessés. Au moment du bombardement, Tomie Mito, alors enceinte de quatre mois, se trouve dans un village à 7 kilomètres de la ville dévastée et ne s’y rendra que trois jours plus tard, inconsciente du danger radioactif. Né en janvier 1946, Kosei Mito est un survivant in utéro. Depuis 2006, bénévolement et librement, il raconte et explique quotidiennement cette tragédie aux visiteurs du monde entier.
J’étais guide au musée du Mémorial de la Paix vous savez. Mais j’ai quitté mon poste : c’est trop politique, il y a trop de non-dits.
Au Japon, où la norme est aux conversations légères et policées avec les étrangers, la franchise de Kosei Mito surprend. Tout comme son musée à ciel ouvert, constitué de quelques affichettes et de nombreux gros lutins posés à même le sol sur le chemin longeant le Dôme de Genbaku. En les feuilletant, les touristes découvrent l’histoire de Kosei et de sa famille, introduction au récit général, détaillé et richement illustré, du premier bombardement atomique de l’histoire de l’humanité sur des populations civiles. Il aura fallu plus de cinq ans de recherches à Kosei, ancien enseignant, pour constituer ce dossier qu’il a fait traduire dans plusieurs langues et qu’il a intitulé Ce jour-là. Le support légitime pour sa parole libérée de la version officielle.
Au musée, je voulais répondre à toutes les questions mais je ne pouvais pas donner les bonnes réponses. D’une part parce que le Japon est trop dépendant des États-Unis, mais également car le Japon est contre le traité qui vise à bannir les armes atomiques. Il boycotte les conférences à ce sujet qui se tiennent aux Nations Unies. On en ressent les effets au musée et pourtant chacun devrait connaître la vérité.
La visite du musée du Mémorial de la Paix, très émouvante, propose une reconstitution d’une maison telle qu’elle a été dévastée en août 45. On y trouve aussi des maquettes explicatives, des vidéos, des archives sonores, de nombreux objets d’époque ou encore des pièces de métal qui ont fondues sous l’extrême chaleur nucléaire et que l’on peut toucher. Mais au regard des propos de Kosei, on s’aperçoit en effet qu’aucune analyse géopolitique n’est proposée, si ce n’est quelques mots sur un panneau en fin de visite, laissant presque penser au visiteur que la bombe est tombée du ciel et non pas d’un bombardier américain. Comme l’explique Kosei Mito sur son blog, il n’est pas question d’entretenir un sentiment d’animosité, les Américains étant d’ailleurs souvent surpris par l’hospitalité des habitants d’Hiroshima, mais plutôt d’expliquer ce qui a mené au premier bombardement atomique de l’histoire de l’humanité.
En visitant le musée, il est impossible de savoir pourquoi les États-Unis ont largué la bombe. Et pourtant, en prévision et dès la fin de la guerre, nous avons été utilisés comme cobayes, dans le cadre de l’Atomic Bomb Casualty Commission par exemple. Les États-Unis souhaitaient s’assurer et démontrer leur supériorité face à l’Union Soviétique. Il n’y a pas non plus un mot sur l’exposition radioactive interne dans le musée.
Et c’est de cette frustration sur la question de l’irradiation interne (le fait de consommer des aliments contaminés par les radiations), fréquente parmi les groupes d’étrangers qui l’avaient comme guide, que Kosei a décidé de s’éloigner du musée pour informer librement, avec rigueur, tous les jours au pied du Dôme Atomique. Ancien palais d’exposition, il s’agit du seul bâtiment en ruines laissé en l’état comme témoignage de l’horreur, dans une ville d’Hiroshima évidemment refaite à neuf. D’ailleurs, si Kosei Mito partage ses connaissances sur le passé funeste qu’a connu sa ville, c’est bien parce qu’il est pleinement ancré dans le présent et porte un espoir pour le futur : celui d’un monde sans nouveau Hiroshima, mais également sans nouveau Fukushima.
C’est très important d’avoir tous les faits pour pouvoir anticiper le futur. Dans ce sens, il ne devrait y avoir aucune centrale nucléaire au Japon. Sous nos pieds, ça bouge en permanence, le Japon est un pays où les tremblements de terre font partie du quotidien. Ce n’est pas encore un avis répandu parmi la population car la propagande étatique est très forte pour faire croire qu’il n’y a pas d’alternatives. Pourtant, elles existent, grâce au vent, à la mer, et à l’excellence technologique japonaise.
Merci à Kosei Mito, notre quatrième étoile.